Je vous écris à vous mes parents,
vous mes parents et moi votre fille et pourtant nous sommes étrangers. Je ne connais que très peu de choses de vous et vous de même. Toute ma vie je me suis contentée de faire profil bas à vos côtés, de la même manière que je l’ai fait dans toutes les sphères de ma vie. Je ne me suis jamais permise de me dévoiler entièrement, et pourtant, j’aurais dû me sentir en confiance avec toi maman, la première personne digne de confiance pour une enfant : sa maman.
Longtemps j’aurais voulu avoir ce lien de proximité avec toi. Mes amies dans mon enfance, je les voyais, elles avaient ce lien d’attachement avec leur mère. Elles savaient qu’elles pouvaient compter sur elle dans les grands moments de questionnement. Moi, je n’avais rien de tout ça. Je ne savais pas ce que c’était que de compter sur sa mère. Je savais que tu veillerais toujours à me nourrir et m’habiller convenablement et c’était beaucoup j’en étais consciente déjà petite, mais de pouvoir sentir de réconfort d’une maman, j’ai su très jeune que je ne pourrais pas y compter.
Tu dois certainement te rappeler que vers l’âge de sept ans je venais souvent te voir avec un petit bobo insignifiant, une petite égratignure, un petit rien sur le bout du doigt… Bon dieu que c’était une bagatelle mais ce rien du tout était une tentative, un cri du désespoir pour te dire s’il te plait maman, fais-moi un bisou sur mon bobo
et dis-moi que tu m’aimes et que je suis gentille et que je suis belle et que tout ira bien. Mais chaque fois tu me renvoyais d’où je venais d’un air agacé… je t’énervais, je te tapais sur les nerfs. Mais je réessayais tellement mon désarroi était grand, tellement mon manque de toi était flagrant. Jusqu’au jour où tu n’en pouvais plus et tu m’as regardée froidement dans les yeux et tu m’as dit, « regarde Michelle, j’ai un bobo » en me plaquant ton doigt devant les yeux… j’ai figé sur place, j’étais glacée d’effroi et quand j’ai repris mes sens, je suis partie, la peine dans tous les sens et dans le cœur, et j’ai compris que jamais je n’aurai l’amour de ma mère, et je ne l’ai plus jamais cherché, du moins plus jamais de manière consciente.
Tu n’as peut-être pas réalisé, ce jour-là, toute la douleur que j’ai ressentie, j’en sais rien, mais cette douleur a eu des répercutions qui m’ont suivie longtemps. Je me suis refermée pour me protéger de la douleur de l’amour, j’ai appris avec toi à me faire une protection. Combien de fois nous as-tu donné l’occasion de nous détourner de toi tellement il était difficile pour nous de saisir l’insaisissable. Des fois où j’ai eu des corrections que je ne comprenais même pas l’origine de la faute, est-ce normal ? Pourquoi je me disais, qu’est-ce que j’ai fait ? Tu frappais et plus tu frappais, plus je paniquais et j’étais affolée. Je n’ai toujours pas de réponse à ces questions.
J’en ai été malheureuse de cette vie. À me sentir rejetée ainsi je me suis même demandée si j’étais normale, à part. Je marchais dans la rue et je me sentais différente des autres. J’étais d’un monde à part. J’aurais pu être une étrangère et je n’aurais pas été différente. J’aurais pu être une enfant adoptée et je ne me serais pas sentie différente. Je m’isolais, je me sentais seule, j’étais triste et vide. En fait, je semblais vivre mon enfance mais je ne faisais que
survivre à moi-même, et c’est ce que j’ai fait toute ma vie. J’ai fonctionné en mode survie. Je ne suis pas une vivante mais une sur-vivante. Je ne vis qu’en surface et non en profondeur. Rien n’est ressenti précisément, n’est vécu à fond, n’est savouré pleinement. Mes émotions sont désordonnées, les bonheurs doivent être vécus à petite dose sinon ils sont refoulés, les malheurs le sont tout autant et quand il y a un trop plein rien ne va plus, je ne suis plus capable d’en vivre aucun.
Je sais qu’aujourd’hui je suis une adulte et qu’il n’en tient qu’à moi de tout changer dans ma vie pour que mes jours soient heureux. Mais je ne peux m’empêcher de constater tous les dégâts que vous les parents auriez pu éviter toutes ces années.
Et toi mon père, toi en qui j’aurais voulu avoir confiance. Tu as si bien su te jouer de nous tes filles. Oh au regard du commun des mortels tu as toujours eu la figure de l’homme respectable mais sous le voile caché du monde, tu devenais l’ennemi de tes petites bergères. Où étais-tu petite bergère ? Tu te souviens de ça papa ?
N’est-ce pas ce que tu voyais en nous, des petites demoiselles à qui on peut retrousser les jupes sans que personne ne nous voit ?
Lorsque je pense à toi, par moment, des désirs de vengeance émergent en moi et je remercie le ciel de ne plus te mettre sur mon chemin. Me faire justice aujourd’hui ne m’apporterait encore une fois qu’injustice.
Aujourd’hui je veux et je dois reprogrammer ma casette. La vision que j’ai de la vie je vous la dois. Une loque juste bonne à servir. J’en ai pleuré de rage en frottant les planchers à laine d’acier, tu sais la p’tite cendrillon dans les contes de fées, et bien c’était moi. Tous les deux, à votre manière, vous avez su abuser de moi parce
que moi, je ne disais rien, je ne ripostais pas. Je fermais ma grande gueule et j’exécutais.
Je me suis emprisonnée pour avoir moins mal, mais je n’ai jamais compris ce que j’avais fait pour mériter un tel sort ?
Non je ne vous remercie pas pour les dures leçons de la vie que vous avez si bien su forger en moi à coup de tison. À mon sens, vous ne valez pas mieux un que l’autre. Tous les deux vous avez abusé de moi à votre manière. La tienne maman a été plus subtile, assez bien mise en place pour laisser ses séquelles. Tu m’as enlevé cette adolescence que j’aurais du vivre pour me mettre dans tes souliers, chose que je ne voulais pas et je te l’avais dit, je ne me sentais pas capable de le faire mais tu m’y as obligée. Je l’ai fait contre mon gré et par ta faute, ta grande faute, j’ai passé de précieuse années de mon adolescence dépressive, amère, désespérée, dépassée par les évènements, j’ai du être la mère de quatre enfants, tes enfants que tu m’abandonnais alors que j’en étais une moi-même. Mais je l’ai fait, quand même. J’étais cette enfant docile qui fait ce qui lui est imposé, malgré l’indignation.
Ce qui me choque le plus c’est que plusieurs années plus tard, lorsque je suis en fait devenue mère de mon premier enfant et que j’habitais toujours cet appartement, normal, j’étais devenue la mère du foyer. Alors que mon fils n’avait qu’un mois, tu m’as jetée à la porte, à tes yeux, je n’étais plus bonne à rien. C’est ainsi que je me suis sentie et ce sentiment me suivra toujours.
Je suis née de la mauvaise graine.
Je suis le fruit du vice et de la folie. Le germe de deux germes défaillants à
la base, qui ont quand même réussi à se reproduire. Comme une catastrophe
environnementale de laquelle on doit se relever.
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Bonjour Michelle , bienvenue !
RépondreSupprimerQuand je te lie , je dirais que rien ne me choque dans ton texte , tu écrit : Une enfant docile qui fait!! là c'est moi je me reconnais ! mais toi tu était indigné , alors que moi non ! mauvaise graine , cette réaction que l'on à tous ! Michelle , tu as par contre une vue de ta situation très clair bravo et tu à la niaque pour vouloir t'en sortir bravo ! et j'aime beaucoup ton dessin , très exprésif , à bientôt
Bonjour Béa!
RépondreSupprimerMerci pour tes encouragements, disons qu'en ce moment je me débat un peu comme un diable dans l'eau bénite... si ma vision face à ma situation peut sembler claire, il me manque des tas de morceaux à mon puzzle et ce sont ces morceaux que j'essaie de retrouver pour me reconstruire. Je suis comme vous tous, quelqu'un qui a le désir de vivre, survivre a toujours été mon mode de vie et à chaque fois que je croise des gens qui mordent dans la vie, je me demande comment ils y arrivent? C'est là où j'en suis, avec ce désir de m'en sortir comme tu dis si bien. Je me souhaite, comme à tous, bon cheminement!!
À bientôt