« Si vous traitez un individu comme il est, il restera ce qu'il est.
Mais si vous le traitez comme s’il était ce qu'il doit et peut devenir, alors il deviendra ce qu'il doit et peut être. »

Behandle die Menschen so, als wären sie, was sie sein sollten, und du hilfst ihnen zu werden, was sie sein können.

J. W. von Goethe, Faust I

Art Therapie Virtus

mardi 26 juin 2012

Reflexions sur une possible communication "non verbale" dans les échanges par internet


Une des difficultés de travailler dans un cadre de relation d’aide sur le net, c’est qu’il manque la dimension non verbale, infra verbale. Mais est-ce si sûr ? Le texte qui suit essaye de montrer un peu d’autres pistes et aussi l’importance de cette communication virtuelle, qui permet quand même à un bon nombre de personnes de reprendre le poids relationnel et d’exister.

Je suis psychologue clinicienne de formation, et ayant travaillé en milieu hospitalier auprès d’enfants malades et de leurs parents, j’ai acquis une certaine « dextérité » dans les entretiens qui étaient essentiellement du soutien et de l’accompagnement. 

Quand un site m’a demandé de faire de l’aide par internet, je me suis vraiment demandée si c’était possible, mais j’ai tenté l’expérience. Globalement il s’agissait de personnes vivant quelque chose qui s’apparente à la dépression, qui se plaignaient d’un mal être, d’une difficulté à vivre. Il était pour moi évident que cet échange devait les ouvrir à une thérapie face à face, (comme quoi, dire que le thérapeute n’a pas de désir, est presque impensable).

Les règles d’échange étant codifiées, j’ai pu me rendre très vite compte que, d’une part « cela fonctionnait » mais surtout que, même s’il n’y pas tout le non verbal qui a une place aussi importante dans une relation face à face, il y a quand même beaucoup de non verbal qui se joue. 

Il y a déjà le pseudonyme choisi par la personne, car il est rarement neutre. Il dit quelque chose que l'on ne saisira peut être que plus tard, mais qui se dévoile. 

Ce qui frappe d’emblée ce sont certains mots mal orthographiés, que l’on peut tout à fait (pas toujours mais souvent) interpréter comme des lapsus et qui peuvent justement permettre d’aller là où la personne ne voulait pas aller (puisque dans l’écrit que l’on peut modifier jusqu’au moment où il est envoyé, on peut toujours espérer maîtriser les choses). Écrire pour vivre au lieu de mourir n'est pas innocent, même si les deux lettres m et p sont proches l'une de l'autre.
  
Il y a le respect des règles : il est demandé aux personnes d’envoyer une page dans un format donné et avec une police donnée. Certaines respectent, d’autres pas. Là encore quelque chose se dit. Parfois on a l’impression de recevoir un texte beaucoup trop « dense » sans aucun blanc et du coup il faut remettre des espaces, des blancs, des points. Là encore quelque chose se dit. Je veux dire que certains textes donnent une impression de gavage, comme si la personne voulait, en quelque sorte, vous étouffer avec tout ce qui est en elle. Il y a d’autres textes au contraire, où l’on cherche la demande et on ne la trouve pas. Et puis on apprend que quelqu’un a dit à la personne que ce serait bien s’il… et du coup il est dans le désir de l’autre, pas dans son désir à lui, et cela se ressent.

Même s’il n’est pas question de mettre des formules de politesses alambiquées il y a un minimum de correction et là encore, il y a de grandes différences d’une personne à l’autre. Ne mettre aucun merci (je sais bien que la personne paye pour avoir une réponse) pose quand même question. Qu’est ce qui est dû ? comment vous considère t-elle ? Là encore on est dans le non verbal et il est parfois nécessaire d’analyser son contre transfert comme dans une thérapie face à face.

Je crois aussi que le style de chaque personne est un peu sa signature et que là aussi il passe du non verbal. Là je dois dire que la formation reçue lors de mes études (en particulier pour les tests projectifs) aide considérablement.

L’une des difficultés de la communication par internet est parfois liée à l’absence du regard qui pourrait « faire passer la pilule ». Et surtout le fait que l’humour est la chose du monde la plus mal partagée et que cela peut créer de véritables incompréhensions.

Je ne connaissais rien à l’inceste ni à ses dégâts. C’est la rencontre avec des personnes ayant vécu ces agressions qui m’a permis peu à peu de comprendre les ravages de ces actes sur toute leur identité. J’ai rencontré, j’ai appris, et j’apprends encore et cela c’est pour moi une des merveilles des blogs et des forums.

Actuellement, l’utilisation d’internet pour entrer en relation avec des personnes qui n’auraient peut être jamais pu parler d’elles en face à face est pour moi une merveille. Peut-être que cette communication où finalement ne pas voir les personnes a aussi des avantages, car on peut choisir le moment où on a envie de lire, envie de répondre (ne pas être coincé par des horaires, ne pas être obligé de stopper un entretien, est quand même fort agréable). Et puis parfois je me dis que ne pas voir la personne cela peut avoir du bon.

4 commentaires:

  1. Écrire pour guérir, l'idée pourrait être bonne, mais là encore, cela n'est pas si simple. L'absence de rôles et de responsabilités sur certains forums peut provoquer de sérieux dégâts, ou rouvrir de petites blessures. En tant que victime masculine de pédophilie et d'inceste, je me suis retrouvé sur des forums à très grande majorité féminine, c'est-à-dire de femmes ayant été victimes d'hommes. Cela peut être très intéressant pour les uns et pour les autres car l'être-victime est totalement indépendant du genre, mais les échanges ne le sont pas et il m'est arrivé de tomber sur des femmes particulièrement montées contre les hommes et qui, sans le savoir bien sûr, ont su toucher là où cela faisait mal. Personne sur le forum n'a su ou vu le mal qui m'était fait, ou n'a su en comprendre la portée.

    Un autre danger des forums est d'entretenir le statut de victime sans jamais donner le moyen d'aller au-delà: le fonctionnement même de certains forums fait qu'il est pour ainsi dire impossible de voir autre chose que sa propre souffrance. J'ai été très heureux de rencontrer la souffrance d'autres personnes et de me dire que cela était souffrance, alors j'avais souffert toute ma vie en ne m'en rendant compte qu'à moitié, mais au-delà de l'expression de la douleur, qu'y a-t-il ? Je ne veux pas parler simplement de la colère, du désir de vengeance, ou même de la capacité de gérer sa vie au quotidien, mais de la vie tout court, de la possibilité de voir du positif non plus avec envie, mais comme un fait normal, la capacité de voir des problèmes qui ne soit pas seulement ceux liés au passé. Une fois qu'on a reconnu qu'on a été victime pendant une période de la vie, une fois qu'on n'a plus aussi peur de reconnaître sa souffrance, sortir de la confusion, au moins pour moi, passe aussi par nommer les choses de la vie, dans le négatif comme dans le positif, et cela est difficile si on se transpose dans un espèce de monde en vase clos, ce monde virtuel où on écrit tard le soir parce qu'on n'a pas envie d'aller au lit et de sombrer encore et encore.

    Écrire pour guérir, pourquoi pas, mais cela ne suffit pas: encore faut-il y mettre des règles, et pas seulement des règles de pur formalisme.

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  2. Merci Philippe.
    J'hésitais à monter un forum. je n'hésite plus : trop de temps et vu sous ton angle, trop dangereux.
    J'espère que d'autres hommes viendront sur le blog. Ils sont beaucoup plus réticents. Ils m'écrivent en courriel.
    "l'être-victime est totalement indépendant du genre."
    Je vais te la piquer pour mon mémoire.

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  3. Bonjour Philippe,

    Pour dire ce qui est je trouve les forums assez frustrants, parce que finalement chacun y va de son petit couplet, de sa petite certitude (de savoir, de comprendre) et surtout quand on lit le premier post et le denier on a souvent l'impression que la demande s'est dissolue dans la masse, ce qui est loin d'être thérapeutique.

    J'ai vu cela sur des forums psy et sur des forums chrétiens.

    Ceci pour dire que je ne pense pas qu'un forum puisse être thérapeutique. Il peut être le lieu de cris (et c'est déjà une bonne chose) mais il faut apprendre à entendre ces cris.

    Dans les différents forums aux quels je participe, (et peu en réalité) maintenant, au travers d'une demande, d'un écrit, je suis devenue capable de décoder un peu ce qu'il y a derrière (Emmanuelle et moi-même nous sommes rencontrées sur un forum pour les personnes ayant vécu un cancer).

    Alors quand je perçois quelque chose, je commence par les mps, pour me présenter, dire ce que j'ai compris et proposer, justement pour que des mots (des vrais mots) puissent être dits, écrits, posés un échange. Puis si la personne le souhaite, travailler par e-mail.

    J'aime cette forme de relation car elle laisse le temps de penser, (ne pas se précipiter) et surtout elle permet un début d'étayage: être là.

    Les forums sont trop souvent des foires d'empoigne...

    Je n'ai pas vécu ce que vous avez vécu, je sais juste que ce vécu a fait de vous des personnes qui bien souvent n'ont pas de place, plus de place, plus d'existence. Alors si l'écriture-échange permet un tout petit peu de vie, je ne saurais en demander plus.

    Amicalement

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  4. Si je peux être utile, Emmanuelle, n'hésite pas. Les idées appartiennent à tout le monde et je serai très heureux qu'une expression venant de moi deviennent une bonne idée une fois retravaillée par toi.

    Giboulée, je ne peux qu'être d'accord avec vous sur les forums, mais j'en ai connu au moins un sur lequel je me sentais bien avant qu'il ne ferme. Ceci dit, un forum n'est pas un "lieu" thérapeutique en soi, mais il peut aider un temps, avant de passer à autre chose. Et somme toute, beaucoup dépend des modérateurs. Ceci dit, c'est beaucoup de travail pour un résultat des plus incertains, sans garantie aucune.

    J'aime beaucoup ce que vous dites sur ces personnes qui n'ont plus de place. N'a sa place en ce monde que celui qui existe pour les autres: alors il est possible de s'imposer ou, dans le pire des cas, de se voir assigner une petite place. Mais pour ceux qui sont objets, qui ont grandi objets, peu importe la place où ils se trouvent. Donner le souffle à un vulgaire vase ou pot de chambre a peu de sens - mais le sens doit venir de soi. J'imagine déjà une de ces apories à la Ronald Laing, avec ces interminables raisonnements en boucles. Mais je vais trop vite...

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